illustration tirée d'un article de J.F. Kahn sur : nouvelordremondial
Jusque là vilipendé, diabolisé, voire maudit, le numérique s’érige comme une alternative que bon nombre d’acteurs économiques vont porter / portent déjà aux nues. Ses détracteurs d’hier voient aujourd’hui en lui la planche de salut pour préserverdes pans entiers de l’économie en phase de déclin.
C’est le cas —entre autres— de la presse. Mais n’est-ce pas une planche savonnée ? Son émergence par le biais d’aides étatiques n’intègre-t-elle pas dans ses gènes une part malsaine de comportements douteux qui tentent les industriels ou les dirigeants à transgresser ce pour quoi ces subsides sont destinées ?
Le gouvernement attribue 18 millions d’euros à la presse...
Lors des assises du journalisme à Strabsbourg, jeudi dernier 8 octobre, Frédéric Mitterrand confirme l’octroi de 18 millions d’euros à destination des journalistes afin d’assurer leur transition vers les médias numériques (entendez par là, publiés sur le net). Lire ci l’article de Xavier Ternisien - lemonde.fr.
En effet, l’attribution de cette somme appelle plusieurs remarques ; je développerai une seule qui m’apparaît essentielle pour l’avenir de cette profession.
Soudain, le numérique, jusqu’alors considéré comme un gros mot, prend les couleurs de la vertu et devient l’outil salvateur destiné à sauver la presse...
Ajouté à cela que le gouvernement va également doter la profession de 20 autres millions pour moderniser l’outil de production (les rotatives, mais à quoi bon si on se tourne vers le numérique, l’investissement étant abyssal ???). Et pour clore le tout, encore 20 millions pour soutenir la presse numérique (rien compris à ce concept ambigu : activité numérique liée à l’impression ou passage au net ???) 18 + 20 + 20 = donc 58.
So what ?
Mais non, le compte n’y est pas. Les arguments développés par la presse ont toujours été : le numérique est notre ennemi, il creuse notre tombe (expression repris par de nombreux libraires à propos l’arrivée attendue (?) du numérique dans l’univers de l’édition).
Le gouvernement rend-il service aux journalistes en leur proposant de se précipiter vers les site en ligne ? [pour ma part je trouve fort utile de pouvoir en temps réel, découvrir un édito, un dossier, une actualité sur internet, sachant qu’il est impossible de s’abonner à une vingtaine de titres généraliste et autant de titres spécialistes, économiquement parlant. La visibilité sur le net est un plus indéniable].
En effet, les médias auront un mal fou à en tirer profit, à transformer deux siècles de presse écrite en site internet. Ils ont farouchement lutté hier contre internet, y sont venus contraints et forcés par le comportement des internautes, ont tenté d’initier des modèles économiques qui se sont tous révélés catastrophiques en termes de résultats. Ils pensent que l’heure est venue de s’y mettre une fois pour tous. C’est trop tard. (1)
Il est trop tard et ce sont eux-même qui par manque de vigilance ont créé cet inextricable situation
On ne gagne pas à tous les coups. Vouloir profiter d’internet est en soi louable, mais les conditions pour y arriver ne sont pas au rendez-vous, loin s’en faut. Nous l’avons vu, ils n’y ont pas cru, ont (dans l’ensemble) mis en ligne des informations trop souvent « people-isées » ou trop « dégradées », appauvries pour apporter une réelle valeur ajoutée (réservant aux lecteurs du papier la quintessence de leurs écrits). Les internautes n’ont pas accès à « leur jus de cerveaux » à moins de payer au prix fort l’info. Et pourquoi ?
Comment vont-ils faire revenir les lecteurs vers eux ? Avec la même stratégie : que nenni ! Un autre modèle économique : faudra être convaincant... A moins que, s’inspirant du business model de Steve Jobs (l’iTunes music store pour le contenu et l’App Store pour les applications) ils se « résignent » à rétropédaler : ce n’est gagné. Ce n’est pas dans la façon de faire des grands patrons de presse globalement plus obnubilés par les résultats que par soucis d’humanisme.
Steve Jobs est-il un humaniste ?
Oui, il a ouvert l’industrie de l’informatique (Macintosh) d’abord puis des outils grand public (iPod puis iPhone) vers quelque chose en accord avec notre temps.
Sa vision, ses actes sont ainsi : donner facilement accès au contenu à un prix tout à fait correct, juste, pour son auteur, réaliste pour le consommateur (plus de 8 milliards de titres ont été achetés en 8 années d’existence sur l'iTunes au prix de 0,99 euro le morceau —en réalité : 0,69 ou 0,99 ou 1,29 €— dont 70% pour l’ayant-droit).
Bref, Steve Jobs va dans le sens opposé de ce qui se fait encore aujourd’hui : l’achat d’une imprimante jet d’encre est sous-évalué (à 90 euros on trouve de bonnes imprimantes en WiFi) alors que l’encre est vendue à près de 1.000 (oui, mille) euros le litre (refaites les calculs, y a pas erreur).
Cela dit, Steve doit rendre des comptes à ses actionnaires et il vend cher, très cher sa technologie (le matériel) parce que derrière, il y a une R&D conséquente, ses produits vont vers l’humain. C’est justifié, réaliste ; ce n’est pas du marketing attrape-gogos.
L’ordinateur, chez Apple, est au service de l’Homme, contrairement à l’ensemble de l’industrie qui n’a jamais eu le sens de l’ergonomie, celle du comportement humain normal (cf aller dans « démarrer » pour éteindre son ordinateur : c’est définitivement, depuis longtemps un non sens jamais corrigé depuis 30 ans...).
Idem pour l’iPhone : l’écran tactile est vraiment sensible au toucher, nul besoin d’enfoncer fortement le doigt sur l’écran...) et le business model de l'App Store est une réelle innovation, des années-lumière devant micro$oft qui m'arrive même pas en copiant, à grappiller des part de marché significatives...
Ce n’est pas un prix réaliste ni adapté aux attentes
Pourquoi devrais-je payer plus d’un euro pour accéder à un article/dossier ?
C’est le cas du Wall Street Journal, mais aussi du Monde, des Échos mais aussi de certains quotidiens régionaux qui ponctionnent (tentent de ponctionner) une forte somme pour accéder à la mise en ligne. En gros le prix l’accès à un article est largement supérieur à l’achat du support papier duquel il est issu. Ce système ne peut pas irradier, crise économique ou pas, ceci ne change rien, c’est voué à l’échec. Définitivement.
Bien sûr, au lieu d’un achat au coup par coup, en s’abonnant, on obtient un tarif bien meilleur mais encore prohibitif. Quand j’achète un morceau de musique sur iTunes, il m’est facturé 0,99 € et pour l’album de 10 titres, c’est 9,99 €. Jobs ne se pollue pas les neurones : il n’est pas nécessaire d’établir un barème dégressif cabalistique, c'est un marketing sain. Quoi de mieux que d’attaquer à un prix « raisonnable » plutôt que de chercher à fidéliser le consommateur par un ticket d’entrée forçant l’acheteur à prendre un paquet de 25 consultations qu'il n'utilisera probablement pas. C'est sur la même base désuète que celle des tarifs des abonnements au téléphone mobile (dont AT&T vient de créer un tsunami en ouvrant l'accès à la VoIP cette semaine, idée que vont évidemment reprendre les trois opérateurs historiques hexagonaux... pourvu que Free débarque... un jour...).
Les gens du marketing manquent un peu de pragmatisme, faire simple est pourtant plus aisé (à moins d’avoir à justifier une quelconque valeur ajoutée qui reste à démontrer...).
Proposer gratuitement pour créer une addiction qui sera ensuite... payante.
C’est un calcul « retour sur investissement » trop léger. Ça eût marché (encore que ça reste à démontrer, sur la durée), mais c’est fini. Tout le monde, presse y compris a délibérément essayé sans résultat tangible, essentiellement par méconnaissance du comportement des consommateurs.
La génération Y, les native internet ont toujours tout consommé gratuit, c’est un dogme : depuis la télé, la radio. Comment leur faire comprendre qu’il faut payer les contenus qui circulent sur internet ? C'est aussi une appréhension différente des valeurs : les seniors ont identifié un fichier comme un bien, notion assez absconse chez les ados pour qui le bien est matérialisé par un objet et non pas nécessairement une donnée immatérielle.
Le modèle économique de la TV (avant l’arrivée des cryptées) et de la radio est basé sur la « réclame » et ce n’est pas différent sur internet.
Consultez Google : de la pub.
Consultez le site d’une radio ou d’un site communautaire : de la pub. Donc amalgame : internet, c’est comme la radio, gratuit. Comment dès lors inculquer cette notion que la musique téléchargée est du « vol » ? Est-ce pour autant du piratage ? Ceci fera l’objet d’un autre post développé ultérieurement ici et dont Thierry Crouzet, à lire ici comme bon nombre ont à dire. Ce sont les propulseurs, les propellers qui s’inscrivent dans une logique du don...
On pourra lire également la dernière livraison de Books ici à propos des mirages de la gratuité, article (traduit d'un dossier paru dans le NewYorker du 6 juillet 2009) dont je ne partage pas globalement les positions mais qui apportera un éclairage différent voire contradictoire à ce que j’énonce.
Et on voudrait (la presse aussi) rétablir un modèle économique (celui du siècle/millénaire précédent). Hadopi était justement l’inverse de ce qu’il fallait faire, le répressif n’est pas un modèle d’éducation et internet ne sera jamais contrôlé par personne, c’est inscrit dans son existence.
Le législateur aussi est surtout coupable.
Bien sûr, les élus, ignorants des technologies ont précipité ces comportements, les ont encouragés, en « laissant faire ». Ils n’ont pas vu le coup venir, eux non plus et ils tentent de se rattraper en commettant Hadopi.
Car Hadopi ne réglera en rien le sort des auteurs spoliés (qui des internautes ou des majors spolie le plus les auteurs ???...) tant qu’une solution de financement (qui ne soit pas de une nouvelle sorte de taxe qui n’avoue pas son nom, au service d’une industrie de « fumeurs de cigares invétérés » dans leur majorité ; je modère, connaissant des producteurs intègres qui font bien leur job, en Bretagne, ailleurs, je ne sais pas).
On ne modifie pas les comportements en taxant le citoyen. La technique est surannée est contre-productive. Les députés et sénateurs ont choisi la pire des solutions essentiellement parce qu’ils sont totalement hermétiques et étrangers aux nouvelles technologies.
Fallait pas autoriser les logiciels de peer-to--peer. Ou tout du moins en appréhender la perversité. Au lieu de ça, on a laissé coulé...
Mais il faut dire que ça arrangeait bien les petits copains : on a voulu droguer les jeunes au gratuit et maintenant on veut leur faire payer, quitte à les transformer en délinquant (c’est-à-dire sans doute ouvrir d’autres brèches pour qu’ils se munissent de liquidité afin d’acheter leur dope (la musique). C’est dingue.
Par ailleurs, écoutez les auteurs, ceux qui ne sont pas dans le sérail, les jeunes créateurs. Par exemple Julien Doré dans une interview chez svmpod qu'on ne trouve pas en ligne (un comble pour une revue dédiée à l'iPod/iPhone, otils symptomatiques du .. numérique). Ceux-là ne demandent qu’à bénéficier du P2P : c’est leur outil de promotion, le marketing du 3e millénaire, tel qu’ils le conçoivent. Arrêtons de les castrer. Faut se renseigner, écouter la génération Y. fallait pas les doper au P2P.
Its too late : ils sont tellement drogués à leurs musiques, leurs univers (nous en sommes tous responsables) qu’il se précipitent en masse à chaque concert : dommage, ça ne rapporte pas autant au major qu'aux artistes... :-)). Ne cherchez pas l’erreur, la réponse est là : quoi, je ne touche pas au passage, on va se faire une bonne petite Hadopi pour compenser. La suite, on connaît. Le législateur a fait son boulot... en son âme et conscience (oui, Samir, il y aussi le mot science).
À quand la table ronde avec tous les acteurs pour se désengager du guêpier ? Tiens je vais poser la question à mon député : on ne sait jamais...
Et l’édition ?
Et bien nous reverrons jaillir le même phénomène dans les mois à venir et je suis certain que sur le même schéma nous aurons droit à une déliquescence due au piratage des écrits qui sera sanctionnée avant que dans quelques années, on en revienne au modèle de Steve Jobs qui entre-temps aura offert à un prix raisonnable (sans doute grâce à la complicité de Google qui n’est pas le diable qu‘on tente de désigner pour assouvir nos erreurs législatives latentes) un accès à la lecture. Un comble pour un visionnaire qui ne voit pas en la lecture l’avenir des générations. Mais sur ce coup-là, Steve aurait-il raison ? J’en doute, sur vélin ou sur tablette, l’Homme aura toujours le besoin profond de lecture. A coup sûr !
Cela aussi fera l’objet d’un autre post à venir.
Bien sûr, l’Histoire se refait... personne ne l'ignore...
(1) Rupert Murdoch, spécialiste des virages à 180° vient de décider de remettre payant l’accès à certains titres de son groupe qui détient de nombreux titres en Australie, 3 en Grande-Bretagne et 3 aux USA dont le Wall Street Journal. Au total 175 journaux.
Propriétaire également du réseau social MySpace et de la chaîne d’actualités FoxNews, c’est un eurosceptique convaincu et combatif, tendance Faucon...
Parmi ses conquètes, on note des journaux économiques de stature comme le Wall Street Journal ou The Times mais aussi des quotidiens « people » dans leur majorité.
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